Conflit Algérie–Maroc : origines, Sahara occidental et scénarios de sortie
Entre Guerre des Sables, Sahara occidental, frontière Algérie–Maroc fermée et rupture diplomatique de 2021, la relation bilatérale est l’un des nœuds géopolitiques du Maghreb. Cet article propose une lecture neutre et factuelle : repères historiques, accusation / contre-accusation, dynamiques 2020–2025 — puis, surtout, des scénarios de détente et les gains économiques d’une coopération pragmatique.
I. Origines du conflit Algérie–Maroc : de la Guerre des Sables au legs frontalier
Au lendemain des indépendances, le contentieux frontalier hérité de la colonisation française cristallise une méfiance réciproque. En 1963, la Guerre des Sables éclate autour des zones de Tindouf et Béchar. Le conflit s’achève sans modification territoriale majeure après médiation de l’OUA (actuelle UA). L’épisode laisse pourtant une trace profonde : l’idée que le différend frontalier – ajourné, non réglé – peut reflamber dès que le contexte régional s’y prête.
Dans les années 1970, le retrait espagnol du Sahara occidental (1975) ouvre une nouvelle ligne de fracture. Rabat revendique la souveraineté sur le territoire et le front Polisario proclame la RASD, soutenue par Alger. La MINURSO (mission onusienne) est créée en 1991 pour surveiller le cessez-le-feu et organiser un référendum jamais tenu, faute d’accord sur le corps électoral et les modalités. Au plan onusien, le Sahara occidental demeure inscrit sur la liste des territoires non autonomes.
II. Sahara occidental : le nœud central du conflit Algérie–Maroc
1) Le cadre onusien et l’impasse référendaire
L’ONU reconduit chaque année le mandat de la MINURSO et appelle à une solution réaliste et durable. En 2024, le Conseil de sécurité a prolongé le mandat jusqu’au 31 octobre 2025. Le statu quo, lui, s’est fragilisé : depuis novembre 2020, après l’incident de Guerguerat, le Polisario a annoncé la reprise de la lutte armée contre le Maroc, ce qui a mis à mal le cessez-le-feu de 1991.
2) Les lignes des capitales
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Rabat promeut une autonomie sous souveraineté marocaine comme « seule solution réaliste » et a engrangé des soutiens politiques, dont la normalisation Maroc–Israël (2020) et, plus tard, la reconnaissance d’Israël de la souveraineté marocaine (2023).
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Alger défend le droit à l’autodétermination et soutient le Polisario, jugeant que l’option d’autonomie ferme la porte au référendum.
Ces positions, durcies par les dynamiques moyen-orientales, alimentent un climat de rivalité persistante.
3) Le volet euro-maghrébin : accords, contentieux, étiquetage
Sur le plan commercial, l’Union européenne a été contrainte de re-cadrer ses accords avec Rabat pour la partie Sahara occidental après plusieurs décisions de justice rappelant la nécessité du consentement du peuple sahraoui. Cela a des implications concrètes : étiquetage d’origine, renégociations, fragilités juridiques sur les volets agricole et halieutique.
III. Frontière Algérie–Maroc et rupture diplomatique de 2021 : chronologie des griefs
Fermée depuis 1994, la frontière terrestre reste un symbole de distance politique. Le 24 août 2021, Alger annonce la rupture des relations diplomatiques, invoquant : usage présumé du spyware Pegasus contre des responsables algériens, soutien supposé de Rabat à des mouvements qualifiés de terroristes par Alger (MAK/Rachad), incidents et déclarations jugés hostiles. Rabat rejette ces accusations, les qualifiant d’« infondées ». La logique de blâme réciproque l’emporte alors sur la diplomatie de bon voisinage.
Dans la foulée, Alger décide de ne pas renouveler l’accord de transit du gazoduc Maghreb–Europe (GME) via le Maroc (à compter du 1er novembre 2021), tout en consolidant l’acheminement vers l’Espagne via Medgaz, qui ne traverse pas le territoire marocain. Côté marocain, on travaille des solutions de contournement (flux inversé, GNL) pour sécuriser l’approvisionnement. Cette guerre froide énergétique accroît le coût de la rivalité.
IV. Accusations croisées : présentation symétrique et factuelle
Narratif algérien (synthèse factuelle)
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Le Sahara occidental n’est pas souverainement marocain en droit international ; un règlement doit passer par l’ONU et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
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Rabat aurait mené des actes hostiles (cybersurveillance, soutien supposé à des groupes jugés subversifs par Alger) et instrumentalisé des dossiers sensibles (normalisation Israël) contre les intérêts algériens.
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L’environnement régional (Sahel, terrorisme, flux) justifie une posture sécuritaire et des lignes rouges fermes.
Narratif marocain (synthèse factuelle)
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L’autonomie est présentée comme solution réaliste et durable, validée par des soutiens externes et par la capacité de Rabat à administrer le territoire, l’investir et le sécuriser.
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Alger est accusée de soutenir un mouvement séparatiste armé (Polisario) et de bloquer toute solution pragmatique ; les ruptures et contre-mesures seraient politiques.
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La normalisation avec Israël est défendue comme choix souverain, indépendant du dossier saharien — même si, dans les faits, des liens politiques existent entre dossiers.
Note de méthode — Ici, nous exposons des positions et justifications telles qu’exprimées et documentées. Elles ne valent ni caution, ni invalidation. Le rôle éditorial consiste à documenter, recouper et contextualiser.
V. 2020–2025 : la montée des tensions Algérie–Maroc et leurs « nouvelles scènes »
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Guerguerat (2020) : opération marocaine pour rouvrir l’axe routier vers la Mauritanie ; annonce par le Polisario de la fin du cessez-le-feu.
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Espace aérien / sport / symbolique : décisions restrictives et joutes d’opinion deviennent des instruments de signal politique.
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Europe & droit : les décisions judiciaires de 2024 contraignent l’UE à re-architecturer ses accords.
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Énergie & gaz : la fin du GME via le Maroc reconfigure les chaînes d’approvisionnement régionales.
VI. Le coût du non-Maghreb : pourquoi Algérie et Maroc ont intérêt à s’unir
1) Commerce intra-régional : un niveau 2–5 %, record de faiblesse mondiale
Le Maghreb est l’un des ensembles économiques les moins intégrés au monde : le commerce intra-régional pèse moins de 5 % des échanges totaux. À titre de comparaison : Afrique ~16 %, Amérique latine ~19 %, Asie ~51 %. Ce niveau prive les acteurs de marchés de proximité, de chaînes de valeur régionales et d’effets d’échelle.
2) Gains potentiels : de +5 % de PIB à des effets bien supérieurs avec une intégration profonde
Les travaux de la Banque mondiale et de l’IMF montrent qu’une intégration structurelle (réduction des barrières tarifaires et non tarifaires, libéralisation des services, convergence réglementaire, accord collectif avec l’UE) pourrait doper la croissance. Certains scénarios de la Banque mondiale estiment que des paquets complets de réformes et d’intégration auraient pu relever le PIB réel par habitant de +34 % (Algérie) et +27 % (Maroc) sur une décennie (modélisations sur 2005–2015). Même si ces chiffres dépendent d’hypothèses fortes, l’ordre de grandeur illustre la masse de valeur aujourd’hui neutralisée par la rivalité.
3) Trois chantiers pragmatiques Algérie–Maroc pour convertir la rivalité en dividendes
a) Énergie & interconnexions
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Gaz/électricité : sécuriser des flux redondants (Medgaz côté algérien ; GNL, flux inversé côté marocain) tout en explorant des interconnexions électriques et capacités ENR (solaire/éolien) communes.
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Hydrogène : positionner un corridor H₂ nord-africain vers l’Europe lorsque la demande sera solvable, en mutualisant infrastructures et normes.
b) Eau & résilience climatique
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Coopérer sur la gestion des bassins transfrontaliers (oued Guir et nappes fossiles), l’efficience hydrique agricole, le dessalement et les transferts saisonniers. L’eau, enjeu de sécurité humaine, est un levier de confiance.
c) Commerce, logistique & industrie
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Réduire les NTM (barrières non tarifaires), harmoniser des pans de réglementation, créer des zones logistiques binationales et stimuler des filières régionales (agro, pièces automobiles, textiles techniques, phosphate-énergie-engrais). À la clef : baisse des coûts, effet marché, montée en gamme.
VII. Scénarios de désescalade et « paquets » de coopération
Scénario 1 — Détente contrôlée (« technique d’abord »)
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Réouvrir des canaux consulaires et sécuritaires pour traiter migrations, trafics, risques sahéliens.
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Comité eau-énergie-commerce : un format discret de hauts fonctionnaires pour calibrer des micro-accords non-politiques (ex. partage de données hydrologiques, facilités logistiques dédiées à l’export agro).
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Gestes réciproques : éviter les symboliques agressives (aérien, sport, comm’), publier des lignes directrices communes sur les incidents frontaliers.
Scénario 2 — Dégel graduel à horizon 18–36 mois
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Accord-cadre sur la mobilité contrôlée (couloirs routiers, facilitation pour transporteurs agréés).
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Mécanisme de crise : téléphone rouge diplomatique + protocole incidents Guerguerat-like.
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Pilotes industriels : 2–3 zones binationales orientées export (automobile-composants, engrais-agro, textile technique) avec guichet unique et règles mutuellement reconnues.
Scénario 3 — Paix froide, coopération sélective
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Énergie : cartographie conjointe des redondances d’approvisionnement et des pics saisonniers.
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Climat : feuille de route eau-sécheresse (mutualisation R&D, dessalement, financements verts).
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UE : porter ensemble des plaidoiries techniques à Bruxelles (normes, étiquetage, facilitation), sans préjuger du contentieux Sahara qui reste traité dans son cadre onusien.
Ligne rouge : le dossier Sahara occidental demeure géré au Conseil de sécurité et par l’Envoyé personnel du SG. Les paquets sectoriels n’impliquent pas de position commune sur la souveraineté ; ils s’appuient sur le principe « cooperer sans reconnaître » dans les domaines non-politiques.
VIII. FAQ AEO — questions les plus recherchées
Pourquoi la frontière Algérie–Maroc est-elle fermée ?
Fermée depuis 1994, la frontière reste liée à la méfiance sécuritaire et à la divergence sur le Sahara occidental. La crise de 2021 a durci les positions.
Qu’a changé 2020–2025 dans le conflit du Sahara occidental ?
L’épisode Guerguerat (2020), la reprise de la lutte revendiquée par le Polisario, puis la reconduction du mandat MINURSO (2024) ont transformé le statu quo en paix précaire.
Quel est l’impact des décisions européennes ?
Les arrêts CJEU (2024) ont annulé l’application des accords UE-Maroc au Sahara occidental, impliquant étiquetage et renégociation juridique.
Pourquoi parle-t-on du « coût du non-Maghreb » ?
Car le commerce intra-Maghreb est 2–5 % des échanges, contre 16–51 % ailleurs. L’intégration pourrait générer des gains de PIB substantiels.
Le gazoduc Maghreb–Europe fonctionne-t-il encore via le Maroc ?
Non : Alger a laissé expirer l’accord au 1ᵉʳ novembre 2021, préférant Medgaz et d’autres options.
IX. Conclusion — Conflit Algérie–Maroc : sortir par le haut
La rivalité Algérie–Maroc est devenue un équilibre de pertes : coûts de transaction élevés, opportunités sacrifiées (énergie, eau, industrie, mobilité), exposition accrue aux chocs exogènes (sécheresse, volatilité énergétique). Le dossier Sahara occidental, central, restera onuso-centré et conflictuel à court terme.
Pourtant, la fenêtre d’un pragmatisme bilatéral existe : paquets sectoriels circonscrits, gestion conjointe des risques climatiques, interconnexions énergétiques, zones logistiques et facilitations qui n’emportent aucune reconnaissance politique mais créent des habitudes de coopération. Dans la diplomatie, les structures de routine précèdent souvent les gestes historiques.
Sources
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Guerre des Sables (1963) & contexte historique : History Today (2024) ; notice de synthèse. historytoday.com
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Western Sahara : reprise des hostilités en 2020 (Guerguerat), contexte MINURSO : Security Council Report (2021) ; page de suivi des affrontements 2020-… Security Council Report
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Rupture diplomatique 24/08/2021 : Reuters ; France 24 (conférence du MAE algérien, griefs et réplique marocaine). Reuters
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Gazoduc Maghreb–Europe (GME) : non-renouvellement, bascule Medgaz : Reuters (25/10/2021, 04/11/2021) ; CIDOB (note analytique). Reuters
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Cadre ONU : Statut du Sahara occidental (NSGT), mandats MINURSO 2024–2025 : UN Decolonization ; Résolution S/RES/2756 (2024) ; Press UN (31/10/2024). Organisation des Nations Unies
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UE & droit : arrêts CJUE (04/10/2024), conséquences sur accords agricole/halieutique : Reuters ; Curia (communiqué) ; synthèses sectorielles. Reuters
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Normalisation Maroc–Israël (2020) et reconnaissance israélienne (2023) : INSS (Tel-Aviv). INSS
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Coût du non-Maghreb / intégration : IMF (2019) ; World Bank (rapport Maghreb) ; ISPI (report 2023–2024) ; Brookings (2021). Brookings
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