La contrefaçon prend de l’ampleur en Algérie


L’économie algérienne fait face à un fléau qui menace son intégrité. Selon des chiffres, 80 % des articles écoulés sont contrefaits et se vendent nettement moins cher. Tout est sujet à contrefaçon : cosmétiques, pièces de rechange, vêtements, agroalimentaire. La liste est longue sur un phénomène qui ne cesse de s’amplifier, bénéficiant de réseaux de complicités et de largesses. Ce qui provoque d’ailleurs une saignée pour l’économie nationale et une déperdition pour la production locale.

En Algérie, le phénomène des pièces de rechange contrefaites ne cesse de prendre de l’ampleur. C’est un marché bien « huilé « avec un taux de pénétration de 7% de ventes mais il reste difficilement quantifiable. Au lieu de contrefaçon, les spécialistes parlent de «copie non conforme». La différence du concept se situe dans l’implantation de réseaux de contrefacteurs installés clandestinement en Europe du Sud et en Chine et qui fabriquent des modèles de toutes sortes pour les écouler dans les marchés où la demande explose. Un responsable de la direction générale des douanes au fait de la situation évoque «l’existence de marchandises non déclarées qui croupissent au niveau des ports». 

Mais, visiblement, c’est l’approvisionnement non régulé qui constitue le point fort de l’achalandage. Si les constructeurs ne détiennent que 20% du marché de l’après-vente, les réparateurs et les ateliers de vente raflent la mise avec 80% du chiffre d’affaires. Gres Lebin, qui est directeur des ventes chez Renault, parle d’»un marché sauvage qui échappe à notre contrôle». Il confie que «ces pièces contrefaites sont même fabriquées avec de l’amiante». Pour le premier responsable de Hyundai en Algérie, «la défaillance du contrôle est à l’origine de ce fléau dont le gros du marché provient de Taiwan à 90%». Pis encore, 80% de ces pièces sont importées par des non-profesionnels, selon l’un des concessionnaires. « Ils profitent des 15% de taxes douanières pour se frotter les mains», déclare un des représentants de la douane. Toutefois, si les concessionnaires de véhicules dénoncent le manque de contrôle en amont, il faut savoir que les faussaires sont rarement débusqués. Les pièces de rechange, particulièrement les accessoires, sont souvent cédées avec l’imitation quasi parfaite du nom d’origine et des noms de référence, ce qui rend difficile toute opération de vérification de l’origine. 

L’association des concessionnaires algériens a plusieurs fois appelé à procéder à «un contrôle en amont avec des procédés technologiques appropriés pour la vérification du nom du constructeur, l’identité référentielle et les normes de fabrication «. L’une des solutions préconisées est de mettre en place des scanners pouvant détecter des failles ou des anomalies au sein des pièces de rechange. D’autres professionnels souhaitent qu’il y ait un organisme de contrôle et de certification à part qui soit piloté par les pouvoirs publics en associant les représentants des constructeurs et des revendeurs dûment agréés.

Des chiffres inquiétants 


Les articles de contrefaçon n’en finissent pas d’envahir le marché. Les dernières statistiques fournies récemment par l’Inspection générale des douanes illustrent bien le phénomène qui prend de l’ampleur. Ainsi est-il indiqué que plus de 1,6 million d’articles contrefaits ont été saisis par les services des douanes algériennes en 2010. Hannoun Mokrane, inspecteur divisionnaire, considère que «la contrefaçon, qui est en augmentation permanente, agit surtout dans le marché informel qui ne peut être cerné avec des chiffres exacts». En effet, ce responsable a livré un chiffre sur les saisies d’articles contrefaits estimés à 2,3 millions en 2008.

Un marché qui est devenu, à la longue, une espèce de dépotoir. En 2008, un total de 1,5 million d’articles contrefaits importés ont été saisis par les douanes, contre 2,27 millions en 2007. Même si les saisies ont baissé en quantité en 2008 par rapport à l’année précédente, elles ont quand même augmenté en valeur, passant de 100 millions de dinars en 2007 à 150 millions en 2008, soit un bond de près de 50%, selon Medjbar Bouanem, directeur de la lutte contre la fraude aux Douanes, cité par l’APS. « Plus de 80% des articles disponibles sur le marché sont de fausses copies avec des prix deux fois moindres que ceux des produits d’origine «, affirme un responsable d’une entreprise publique et membre du groupe de protection des marques (GPM) qui réunit des entreprises algériennes et des groupes internationaux implantés en Algérie. Selon une étude menée récemment par le groupe pour la protection des marques en Algérie, la contrefaçon fait perdre à l’économie nationale 20 milliards de dinars, soit environ 236 millions d’euros. La majeure partie des produits contrefaits saisis, l’année écoulée, concerne la pièce de rechange automobile, les produits cosmétiques et les cigarettes (41%), selon cet inspecteur divisionnaire. Les articles de sport représentaient un grand pourcentage des saisies opérées. Il s’avère qu’environ 61% des produits contrefaits et saisis par les douanes en 2010 proviennent de la Chine qui reste toujours en tête des pays pourvoyeurs de l’Algérie en produits contrefaits.

L’utilisation de lames de rasoir, de crèmes hydratantes, de jouets ou d’aliments contrefaits ne présente évidemment pas les mêmes garanties que celles des originaux. Les saisies de cosmétiques ou de jouets contrefaits explosent en Algérie. Et 25% des faux saisis représentent un risque pour le consommateur. Ce « marché gris «, comme l’appellent les experts, prospère. Des pièces détachées de véhicules inondent le marché : joints de culasse, biellettes et triangles de direction. Autre tendance, la contrefaçon de produits de consommation courante. Shampooings, dentifrices, rasoirs, savons très corrosifs pour la peau, dentifrice à l’antigel de moteur de voiture : tout y passe. Le marché parallèle pullule de produits toxiques. Les contrefaçons de jouets, souvent dangereuses, ont doublé en une année. Elles représentent 7% de l’ensemble des articles contrefaits sur le marché. Autres produits dangereux signalés : des tendeurs à gaz et des rallonges électriques qui s’enflamment au premier raccordement.

Gare aux faux médicaments ! 


Les faux médicaments n’y échappent pas. Des fausses marques vendues sous des labels de laboratoires fictifs tentent de constituer des réseaux de vente. Selon l’OMS, chaque année, des êtres humains périssent après avoir ingéré un faux médicament, parfois un simple sirop pour la toux. En Algérie, aucun médicament contrefait n’a été signalé jusque-là. Mais est-ce pour autant que le marché algérien est immunisé contre la pénétration des faux médicaments ? Un seul indicateur alarmant révélé par l’OMS : 45 milliards d’euros. C’est ce que génère la contrefaçon de médicaments dans le monde. Soit l’équivalent de 10% du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique mondiale. Un véritable fléau de santé publique qui frappe toutes les régions du monde. Selon un rapport de la Commission européenne, le pays qui se trouve en tête des exportateurs de faux médicaments est la Suisse. 

Plus de 4 millions de médicaments contrefaits ont été saisis l’année dernière dans l’Union européenne où la Confédération helvétique détient 39,2 %, Viennent ensuite l’Inde (34,6 %), les Emirats arabes unis (14,7 %), la Chine (3,8%) et Hong Kong (3,2 %). En Algérie, les spécialistes plaident pour la création de laboratoires anti-contrefaçon et la formation d’enquêteurs spécialisés pour traquer les médicaments contrefaits. De tels laboratoires auront pour mission d’élaborer une base de données avec les «cartes d’identité» des médicaments contrefaits.

La lutte sur tous les fronts


Pour lutter contre ce phénomène et contre le commerce illicite, les Douanes algériennes ont signé en 2008 cinq accords avec les entreprises Unilever (cosmétiques), British American Tobacco et Philip Morris International Management (tabacs), Nestlé (agroalimentaire) et le groupe public algérien BCR (boulonnerie, coutellerie et robinetterie). Auparavant, le champ d’intervention des douanes était limité aux produits d’importation. Aujourd’hui, la nécessité plaide pour une intervention renforcée de ce corps. Les douanes peuvent intervenir lorsque la marchandise est soupçonnée d’être contrefaite sur l’ensemble du territoire national et aussi celle destinée à l’exportation. 

Selon les termes de ces accords, les actions de coopération portent essentiellement sur une formation dispensée par ces propriétaires de marques au profit des douaniers algériens afin de les doter de capacités techniques leur permettant de distinguer les authentiques produits fabriqués par ces sociétés de ceux contrefaits. Pour les experts, la lutte contre la contrefaçon devra être une action coordonnée entre les services des douanes et les ministères de la Santé, du Commerce et de l’Industrie. La lutte passe aussi par l’amélioration de l’expertise des agents des douanes, pour leur permettre de détecter avec précision les produits contrefaits. 

De leur côté, les opérateurs économiques exhortent depuis longtemps le ministère du Commerce à créer «un conseil national de lutte contre la contrefaçon». 

Les objectifs assignés à ce conseil consisteraient à «émettre son avis sur les programmes nationaux de lutte contre la contrefaçon, coordonner entre les différents organismes et administrations concernés lors de la mise en place de stratégies en matière de contrôle, information, sensibilisation, et agir dans le cadre d’une coopération régionale et internationale». D’autres propositions sont présentées par les chefs de PME portant essentiellement sur «la création d’un conseil national pour la protection du consommateur» et un «conseil national du commerce et de la concurrence, qui font cruellement défaut en Algérie «. Il faut dire aussi que le secteur industriel en Algérie dispose d’un institut national de la normalisation et de la propriété industrielle qui protège les produits enregistrés contre toute forme de contrefaçon.

Par Fayçal Abdelghani

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