Le problème Aïnouche
La question que pose le licenciement du caricaturiste Ghilès Aïnouche par la direction du journal en ligne TSA est loin d’être banale. Elle l’est d’autant moins qu’elle survient simultanément avec le déblocage de ce dernier sur les réseaux Internet étatiques après trois mois d’embargo décidé par les Autorités. Ghilès crie au licenciement abusif tandis que le patron de TSA précise qu’il s’est séparé d’un caricaturiste « raciste » et « obscène » qui publie des énormités sur son compte Facebook.
Reprenons : Ghilès Aïnouche est loin d’être une lumière en matière d’humour et de subtilité. L’été dernier, il a publié sur les réseaux sociaux un dessin insupportable où il parlait de la supériorité « génétique » des Kabyles vis-à-vis des Arabes. Et c’est sans doute cette caricature, entre autres, qui est invoquée aujourd’hui par ses ex-employeurs pour justifier leur décision et nier tout marchandage avec l’Etat qui aurait exigé son éviction en échange d’un retour en grâce du site. Or, cet argument s’avère peu crédible car TSA pouvait très bien se séparer de Aïnouche au moment de la publication de cette caricature et non cinq mois plus tard ! Pire, la direction explique dans un communiqué avoir rappelé à l’ordre le dessinateur plusieurs fois sur des publications abordant des « sujets graves tels que le racisme, la religion ou des dessins à caractère sexuel présentés de manière explicite ». Et d’asséner que même si ces dessins sont publiés sur le compte Facebook personnel de Ghilès, cela porte atteinte à l’image du journal. Ajoutons à cela le récent voyage du caricaturiste aux Etats-Unis où il dit avoir parlé des militants du MAK et de leur droit à s’exprimer, chose qui a du également précipiter le jeune « malotru » dans la fosse aux indésirables. Et rappelons enfin que Aïnouche a été tabassé par les agents de police lors de la première manifestation anti-censure à Aokas improvisée suite à une énième interdiction de conférence du café littéraire.
Pourquoi son licenciement pose problème ? Parce que, avant tout, lorsque TSA a été bloqué sur ADSL et Mobilis, la corporation ainsi que les lecteurs ont dénoncé une censure inacceptable et des pratiques dignes des pires régimes dictatoriaux. Que l’on fût fan ou pas de ce site, la mobilisation et la solidarité étaient à la hauteur de la forfaiture. L’électrochoc administré par un Etat qui ne joue même plus la comédie de la censure économique et qui se contente d’appuyer sur un bouton pour bloquer un journal nous a alors éclairé sur la nécessité de la résistance. Aujourd’hui que le site est redevenu accessible, on apprend qu’un caricaturiste en a été expulsé à cause de ses opinions. La moindre des logiques est de refuser cet argument car il s’agit, là encore, d’un problème de censure, laquelle est inacceptable quel que soit notre rejet de ladite opinion. TSA a parfaitement le droit de refuser la publication de certains dessins en contradiction avec sa ligne éditoriale (si tant est qu’elle existe) mais il est pour le moins ahurissant de décréter que Ghilès Aïnouche est, en quelque sorte, la propriété exclusive de ce journal et qu’il n’a pas le droit de s’exprimer sur son compte Facebook comme s’il s’agissait d’un diplomate ou d’un haut responsable tenu au devoir de réserve ! La direction du site s’enfonce en considérant qu’en plus du discours raciste, le caricaturiste n’avait pas le droit non plus de publier des critiques envers la religion ou des images sexuelles : voilà donc la liberté d’expression pour laquelle TSA est passé pour un martyre, brusquement redéfinie selon ses propres critères, exactement à la manière d’un Etat censeur qui en marque les limites au fer rouge ! Devant la ténuité d’une telle argumentation, nous sommes donc tentés de croire que le licenciement du caricaturiste était bel et bien une monnaie d’échange pour le déblocage du site. Et l’on s’attend, comme à l’accoutumée, que certaines opinions de Aïnouche soient du pain béni pour justifier, voire légitimer, une énième censure.
Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que les gènes kabyles sont exactement les mêmes que ceux des Arabes, des Inuits ou des Biélorusses ; que les théories suprématistes sont les pires déjections que l’esprit humain ait jamais pondues ; que l’être humain sera réellement libéré lorsqu’il comprendra que son ennemi n’est pas un autre compagnon de misère à la peau et à la langue différente mais bel et bien un Gouvernant qui insulte tous les jours sa dignité… Il n’est pas vain non plus de préciser que le premier pas pour cette libération est de refuser toute sorte de musèlement pour soi et pour tous les autres !
Sarah Haider
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