Affaires des Généraux algériens


Le cours de l’histoire de l’Algérie a changé par la survenue de nombreux événements en une période de temps relativement courte. La métamorphose que l’armée a subit y a largement contribué. Dans une première phase, l’ANP a connu une série de changements profonds entre janvier 92, date du coup d’état contre Chadli Bendjedid et juin 92, date du meurtre de Mohamed Boudiaf, et qui se sont traduits par l’éloignement des "hommes" de Chadli des postes stratégiques. Les changements les plus importants sont survenus après l’assassinat du président Boudiaf, et c’est cette période critique qui a été la plus mouvementée et sans doute la plus sanglante de toute l’histoire de l’armée, surtout durant l’année 1997.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter un peu dans le temps et plus précisément à la période qui a précédé les événements d'octobre 88; à cette époque mouvementée, les services de la sécurité militaire (DCSM) étaient en pleine décomposition suite à une série de décisions pseudo-politiques assassines prises à la fin des années 80. 

Le Syndrome Belkheir


Larbi Belkheir qui était alors chef de cabinet de Chadli Bendjedid en charge de la question "Sécurité Nationale" avait tout fait pour diminuer de l’efficacité des services secrets ou du moins canaliser leur travail. Pour se faire, il avait réussi à convaincre Chadli de la nécessité d’une restructuration des services secrets en vue d’un meilleur contrôle des structures de l’état. Larbi Belkheir savait plus que quiconque qu'il fallait diviser pour durer, et diviser les services secrets n'était pas tâche facile et surtout pas à la portée du premier venu. C'était la raison pour laquelle il avait présenté son projet sous l'optique du modernisme occidental et du souci sécuritaire; en réalité, Chadli Bendjedid avait approuvé cette mesure, parce qu'elle allait le conforter dans son poste, mais aussi parce qu'il fallait absolument séparer Kasdi Merbah (l'homme qui l'avait amené au pouvoir) de ses anciens contacts qui étaient restés actifs au sein de la DCSM.

Le général Medjdoub Lakhal Ayat qui avait été désigné à la tête de la direction centrale de la sécurité militaire (DCSM) après le départ de Kasdi Merbah, était un personnage tout à fait contraire à son prédécesseur. Ex-officier de l’armée française tout comme Chadli, sa passivité et son attachement au service de la personne de Chadli avaient été des facteurs décisifs pour sa nomination à la tête de la SM. Lakhal Ayat était tout à fait acquis aux thèses révisionnistes de son ami Larbi Belkheir, et avait accepté la division de la DCSM ainsi que la suppression de certains de ses plus importants services sans difficultés face aux insistances de Larbi Belkheir. C'était à cette occasion que le fameux service de la prévention économique (Le PE, une sous direction de la DCSM en charge des investigations de crimes économiques, détournements, malversations, corruption... etc) avait été dissous, à cause du nombre important d'affaires que le service traitait et envoyait pour être jugées à la court des comptes d’une part, mais surtout à cause de la qualité des personnes mises en cause par les investigations du service dans ces affaires et qui venaient de mettre à nu le noyau de ce qui sera quelques années plus tard connu sous le nom de la mafia politico-militaire. 

En réalité, au lieu de présenter à la justice les personnes mises en examen pour ce qui était à l’époque considéré comme un délit très grave, les choses ont été simplifiées par l'élimination d'un service tout entier par une simple décision politique; la porte était alors grande ouverte devant tous les rapaces qui n'ont pas perdu leur temps depuis.

Tout cela n'était qu'un des objectifs primaires fixés par Larbi Belkheir, et non pas le plus important, il avait même réussi à imposer l’idée que le nouveau service qui remplaçait la DCSM avait besoin de jeunes cadres et que les anciens étaient bons pour la retraite, et ainsi des centaines de cadres de la DCSM furent mis à la retraite anticipée ou affectés vers d'autres secteurs et remplacés par de jeunes recrues sans la moindre expérience. La passation du savoir n'a jamais eu lieu entre les deux générations du service.

Suite à cela, Chadli Bendjedid avait officialisé le projet de Belkheir par un décret présidentiel, et deux services avaient en effet vu le jour :

    * La Délégation Générale à la Documentation et à la Sécurité (DGDS), service responsable de la sécurité intérieure et extérieure du pays, constitué d'anciens cadres de la DCSM (les plus rapprochés de Lakhal Ayat et donc de Belkheir) et d'autres recrutés du civil sur concours ou recommandation.

    * La sécurité de l’armée (DCSA) qui avait pour mission la sécurité de l’armée avec pour seule recommandation de ne pas se mêler des affaires qui relevaient du secteur de la Sécurité intérieure, de la sécurité présidentielle, du secteur économique et surtout de la sécurité extérieure. En réalité la SA qui avait du temps de Merbah les pleins pouvoirs (puisqu'elle avait pour mission la sécurité de toute l’armée et par conséquent celle de toute la nation), était reléguée au second plan, celui de simple policier de l’ANP et de simple conseiller à la sécurité nationale.

La fracture était profonde et les mécontents au sein même de la DCSA étaient nombreux, il était dur pour eux d'accepter après des années de loyaux services d’être mis sur une voie de garage. Les cadres de la DCSA avaient refusé cette politique des demi-mesures et avaient tout fait pour désobéir aux ordres reçus (avec la bénédiction de certains chefs) en travaillant sur des affaires qui relevaient désormais de la compétence de la DGDS malgre un appauvrissement très important en moyens materiels décidé par le commandement. La guerre des services commençait à faire rage, chaque service voulait s'imposer sur le terrain, et les potentialités des services opérationnels des deux côtés étaient par conséquent détournées de leurs vraies missions et les décideurs pouvaient ainsi faire des affaires sans être inquiétés.

C'est grâce à la conscience de certains cadres de la DCSA que l'affaire "Mouhouche" par exemple avait vu le jour. Toutes les investigations avaient été faites dans le secret le plus absolu, le prénommé Mouhouche avait été trouvé coupable de détournement de plusieurs millions de dollars avec son complice Toufik Bendjedid (le fils aîné de Chadli), et c'était Larbi Belkheir qui avait donné un coup de pousse à Toufik Bendjedid pour l'obtention du prêt bancaire en devises auprès de la BEA. Quand l'affaire avait été rendu publique, Larbi Belkheir avait réussi à soustraire le fils de Chadli à la justice en l'envoyant par avion spécial à son oncle, en poste au Venezuela, et le petit capitaine procureur militaire de l’époque en l’occurrence le capitaine Belkacem Boukhari (devenu général après la condamnation des leaders du FIS en 90) avait été relevé de ses fonctions à Blida après avoir demandé à écouter Toufik Bendjedid. Il n'avait eu que les insultes de Belkheir au téléphone, avec l'arrogance qui était bien celle de ce dernier.

Belkheir avait joué le rôle de sauveur pour Chadli qui lui cédait la gestion des affaires de l’état un peu plus chaque jour. Une autre affaire avait encore fait du bruit, incriminant l'un des bras droits de Belkhier ; ce dernier l’avait nommé comme directeur de Riadh El Feth (et avant cela comme responsable du projet de contruction de tout le site), le colonel Hocine Senouci avait géré le complexe pour son propre compte et pour celui de Belkheir allant même jusqu’à imprimer des tickets d’entrée pour le centre et qui rapportaient chaque jour des dizaines de milliers de dinars (cash reversé aux comptes des deux complices). Senouci fut arrêté par la DCSA puis relâché sans la moindre poursuite mise à part une réaffectation par Belkheir à la présidence de la république avec quelques millions de dinars en poche. Belkheir avait évoqué un vice de forme de la procédure: la DCSA n’etant pas autorisé à gérer ce genre de dossier qui était désormais clos. Les affaires qui mettaient à nu Belkheir étaient nombreuses, mais les pressions étaient trop fortes et parfois insupportables; à chaque fois qu’une affaire apparaissait, des sanctions suivies de mutations étaient prises contre les officiers qui avaient fait du zèle!

Quelques mois avant les événements d'octobre (mis en scène par Larbi Belkheir & CO pour liquider le FLN des sphères du commandement de l’état au profit de la présidence), les services opérationnels de la DGDS (plus tard DGPS) étaient en plein délabrement. Dotés de nouvelles recrues sans expérience aucune, les services de renseignement en général avaient perdu leur efficacité habituelle ; même le travail qui était fait n'avait plus aucune relation avec la sécurité de l’état, et la plupart des dossiers traités, était ordonnée par le commandement et concernait des personnes bien précises. Ce travail était appelé au sein du service opérationnel : enquêtes de sécurité; leur seul but était la collecte d'informations capables de servir à court ou long terme comme moyens de pressions et de manipulations d'objectifs civils et militaires ! Un objectif visé était une cible atteinte même s'il fallait faire toute une mise en scène pour faire tomber la personne en question.

Comme la compromission a toujours été le meilleur moyen de contrôle et de manipulation des sujets intéressants, Larbi Belkheir aidé par Lakhal Ayat, avait réussi de la sorte à construire une base de données très solide, visant à contrôler toute la classe politique du pays, tous bords confondus.

Suite à la maladie inopinée du gènèral Lakhal Ayat, ce dernier avait demandé au président Chadli de prendre sa retraite. C’était le général Mohamed Betchine qui fut nommé par Chadli en personne au poste de directeur de la DGPS. Chadli avait pensé remplacer plus tard Larbi Belkheir par Betchine, comme il devait le faire quelques années auparavant par le géneral Bouceta, Mais Larbi Belkheir était toujours en alerte et savait agir le moment venu.

En arrivant aux commandes de la DGPS (Direction Générale de la Prévention et Sécurité), après avoir passé plus d’une année à la tête de la direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), le général Mohamed Betchine s'était vite entouré (comme de coutume), d'officiers en qui il avait confiance et sur lesquels il pouvait compter. La sensibilité de son nouveau poste lui avait imposé certains changements qu'il avait vite opéré à la tête des sous directions de la DGPS, en commençant par les plus sensibles, à savoir le service opérationnel ANTAR à Ben Aknoun, la DDSE, les finances et le chiffre. 

Il était impératif pour Betchine de faire un peu le ménage dans cette nouvelle direction qui avait souffert suite à la division de la direction mère (DCSM), et plusieurs officiers à la réputation douteuse ont été purement invités à faire valoir leur droit à la retraite anticipée. Parmi ces officiers figurait le lieutenant colonel Smain Lamari, qui a été chassé par Betchine en personne de son bureau au siège de la direction de la DRS à Dely-Ibrahim après que Smain soit venu demander à son nouveau chef la reconsidération de cette décision. 

Smain Lamari dit Elhadj avait alors demandé secours à Larbi Belkheir (avec qui il avait construit avec le temps des liens étroits) qui le sauva ainsi d’une triste fin en le nommant auprès de lui à la présidence de la république.

Comme Betchine lui-même était un officier issu de l’armée régulière, il était biensûr évident que les officiers qu'il voulait auprès de lui soient pour la plupart de la même origine, le reste des officiers furent puisés dans les effectifs de la DCSA où il avait réussi à se construire une base d’appui avec des éléments comme le commandant Abdelhak Benzlikha alias Commandant Abdelhak qui était directeur du CPMI dans la période où Betchine était à la DCSA, et qui avait suivi Betchine à la DGPS et avait pris le commandement du centre opérationnel ANTAR. 

Tant que Betchine était à la tête de la DCSA, il était loin des pressions exercées par les différents acteurs du pouvoir, mais au moment où il est passé à la tête de la puissante DGPS, il fut astreint à plus d’obligations dont la plus rude était de rendre des comptes à Larbi Belkheir. Les deux hommes étaient courtois au début mais très vite cette courtoisie avait cédé la place à la discorde et à la mésentente; Larbi Belkheir voulait que tout le monde lui rende des comptes avant le président de la république et donnait même des ordres à Betchine qui n’était pas une personne à faire les petites courbettes face à ce moudjahid de seconde classe qu’il considerait en fait comme un homme au passé douteux.

En novembre 89, Belkheir avait réussi son premier coup de stratège, en réussissant à convaincre Chadli Bendjedid de limoger Kasdi Merbah de son poste de Premier ministre sous prétexte d’une tentative de coup d’état que Kasdi préparait avec l’aide de Betchine d’une part, et de nommer Mouloud Hamrouche qui était le secrétaire général de la présidence (ami personnel de Betchine et rival de Belkheir au siège de la présidence) au poste de Premier ministre à la tête du nouveau gouvernement d’autre part; il venait ainsi de se consacrer maître absolu de la présidence de la république en accumulant le poste de chef de cabinet et celui de secrétaire général. Kasdi Merbah ne pouvait pas du tout imaginer qu’un officier de seconde zone comme Larbi Belkheir pouvait réussir toutes ces combines et avoir raison du maître de l’intelligence en Algérie, mais plus grave encore, il était loin de se douter que ce même officier allait ordonner sa liquidation physique quatre ans plus tard alors que Merbah préparait sa revanche avec le président Mohamed Boudiaf.

Grand calculateur ou génie du mal, Larbi Belkheir préparait son dauphin Mohamed Mediene qu’il avait plaçé à la tête de la DCSA après le départ de Betchine en 1990, pour prendre sa chance. Quand Larbi Belkheir ne pouvait plus contrôler Betchine, il était très facile pour lui de convaincre une fois de plus Chadli de le remplacer. Le candidat au poste de la nouvelle direction unifiée DGPS-DCSA (Appelée DRS par décret présidentiel une fois de plus) était fin prêt ; le général Mediene Mohamed Alias Toufik, un produit fait maison que Belkheir avait façonné comme un artiste. Toufik était chef de sécurité au bureau de la 2ème région militaire à Oran (DRSM2) au moment où chadli était chef de région, les deux hommes se rencontraient très souvent autour d'une table pour jouer aux cartes avec entre autres Belkheir. Toufik était déjà à cette période très proche de Chadli qu'il couvrait vis-à-vis de la DCSM. Chadli avait eu des altercations avec l'officier prédécesseur de toufik au poste de DRSM2 parce que l'officier en question faisait son travail et menait des investigations sur l'enrichissement illégal de certains notables à Oran intimement liés à Chadli. La nomination de Toufik était une aubaine et les trois hommes ne se quittaient jamais.

Smain Lamari a été promu après le départ de Betchine au grade de Colonel et nommé plus tard à la tête de la DCE (Direction du Contre Espionnage). Larbi Belkheir avait réussi (façon Frankenstein) à créer les deux monstres les plus redoutables de toute l’histoire de l’Algérie; sa seule motivation était l’enrichissement personnel et la protection de ses biens. Des années plus tard, les produits de cette macabre science du complot, surpassèrent le maître et restent encore à ce jour à leurs postes. 
  

De Chadli à Zeroual


A la fin de l’année 1991, lorsque la situation en Algérie était bouillante, Le général Mohamed Lamari, alors chef des forces terrestres à l’état major de l’ANP, s’était distingué par son opposition à la politique pro-islamiste du président Chadli qu’il critiquait ouvertement dans les sphères du commandement de l’armée, et plus grave encore, il faisait même du lobying parmi les chefs de l’ANP et appelait au renversement de Chadli par la force. Ses cris étaient tellement forts qu’ils étaient même arrivés à la population civile qui parlait dans la rue de l’imminence d’un coup d’état contre Chadli. Le président de la république eut biensûr connaissance de ces rumeurs qu’il savait fondées, et devant la montée de la pression au sein de l’armée, il demanda au chef de la garde républicaine, le général Mohamed Dib, des informations sur la capacité du corps de la garde républicaine à contrecarrer un coup d’état. La question était surprenante pour le général Dib qui répondit par son incompétence à protéger le siège de la présidence sans l’appui d’armes lourdes car celles-ci avaient été reversées à l’état major de l’ANP au mois d’octobre 91, sur les ordres de Chadli lui-même. Chadli s’étonna de cette réponse qui lui fut confirmée par Larbi Belkheir; Ce dernier lui avait fait signer l’ordre sans même qu’il ne s’en aperçoive.

Partisan farouche de la prise ouverte du pouvoir par l'ANP "comme au Chili", Mohamed Lamari agaçait Khaled Nezar par son arrogance et son indiscipline. Le terme "coup d’état" était un tabou dans le langage militaire, lourd de conséquences, mais Mohamed Lamari fonçait la tête baissée sans réfléchir, et au lieu de faire passer l’éviction de Chadli comme une décision volontaire et réfléchie de démission (pour diminuer l’effet à l’échelle nationale et internationale), les gesticulations de Mohamed Lamari avaient contrecarrer cela et le monde entier parlait de coup d’état militaire, pire il avait donné un argument de taille aux opposants de tout azimut : "l’illégalité", ce qui lui avait valu d’être demis de son poste de CFT le 19 avril 1992, et nommé à un poste fantôme de "conseiller au MDN". Presque tout de suite après, il fut invité à faire valoir son droit à la retraite.

Après la liquidation de Boudiaf, l'ANP fut frappée de plein fouet par les retombés politiques et médiatiques de cette affaire. Le climat au sein de l'institution militaire était des plus électriques, et le fait qu'une poignée de généraux au sommet de cette même hiérarchie ait eu une telle initiative, était une chose tout à fait inadmissible mais surtout dangereuse pour l'avenir de l'ANP. Plusieurs officiers de haut rang s’étaient joints pour condamner ouvertement l'attitude laxiste du ministre de la défense, Khaled Nezar, face à la situation ainsi que celle des services en charge de la sécurité du président.

Ce qui était très grave, est que la situation était sans précédent et que pour la première fois au sein même de l'ANP, des officiers avaient osé critiquer et exprimer ouvertement leurs refus et leur indignation face à un tel acte. L'image était très claire et les suspicions d'un complot n'avaient nul besoin de subsister puisque la certitude était acquise pour une bonne partie du personnel militaire. Pour la nouvelle génération d'officiers, combattre le terrorisme était une mission que l’armée pouvait endosser sans hésitation, mais liquider Si Tayeb, un des piliers de la révolution était tout à fait contraire aux principes même de fondement de l'ANP. 

Les généraux Khaled Nezar, Mohamed Touati et Toufik étaient dépassés par les répercutions de l’opération Boudiaf, et avaient très certainement misé sur l’esprit de rigueur militaire et le respect hiérarchique pour contenir toute forme de mécontentement. Le contraire s’était produit, et l’effet était dévastateur : la perte de confiance dans le commandement de l’armée était palpable, ce qui avait obligé les responsables à convoquer, en toute urgence, le conseil de la défense (Chefs de corps et régions militaires ainsi que les différents chefs d’états majors et les inspecteurs) au cinquième jour de l'assassinat du président Boudiaf.

Le jour de la réunion, la gravité de la situation pouvait se mesurer par le poids du silence qui régnait dans la salle de réunion située non loin du bureau du ministre de la défense. Les généraux responsables de la crise en l’occurrence Khaled Nezar, Mohamed Mediene, Mohamed Touati, Mohamed Ghenim, Abdelmalek Guenaizia et BenAbbes Gheziel étaient assis en face du reste des cadres de l’ANP. Nezar et Toufik s'adressèrent successivement aux responsables de l'ANP sur un ton ferme et plutôt autoritaire qui soulignait bien le criticisme du moment et des assurances furent données pour que la justice puisse faire son travail avec le plus de transparence possible (en respectant le secret militaire). Il était bien évident à l’expression affichée par certains visages présents à cette réunion, que les arguments déguisés et les assurances présentées par le ministre et son responsable des services de la DRS étaient loin de convaincre, et cachaient mal une magouille qui sentait le sang.

Quand la parole fut donné aux membres présents, de rares officiers avaient osé s'exprimer demandant des sanctions allant jusqu'à la démission de tous les responsables du corps de la sécurité "comme cela se fait dans toutes les armées du monde", parmi lesquels, le général Hocine Benhadid, le plus jeune général de l'ANP, le général Khelifa Rahim, chef de la deuxième région militaire et Le général Yahia Rahal, inspecteur des forces aériennes. Le général Toufik ne pardonna jamais au général Benhadid de s’être exprimé en premier comme l’aurait fait un fervent opposant à la politique des généraux putschistes, mais aussi et surtout d'avoir osé demander au ministre de la défense de prendre ses responsabilités et de sanctionner les responsables à haute échelle pour préserver la réputation de l'ANP. 

Même le général Mohamed Touati avait essayé d’y mettre du sien en banalisant la situation qu’il trouvait tout à fait normale vu l’infiltration de l’ANP par des éléments adhérant au courant islamiste; Boumaarafi était un exemple typique selon lui et pour palier a cette faille, il fallait selon ses termes "faire un peu le ménage dans la maison et sectionner tous les membres malades; "Si ton bras droit te gêne alors coupes-le". Certains officiers ne partageaient pas l’idée de ce "ménage" et ils le firent savoir; chaque mot prononcé, résonnait comme un obus dans la salle!

Face au silence du chef d’état major Abdelmalek Guenaizia, Khaled Nezar finit par perdre son sang froid; ses dernières paroles étaient des menaces très claires contre tous ceux qui mettraient en danger l’unité du rang militaire. Les rares opposants avaient reçu des réponses en messages à peine voilés ; une nouvelle aire avait commencé pour les officiers de l’ANP. Le seul officier qui avait prit la parole après le ministre de la défense était le général Mohamed Lamari; son allocution n’avait pour objectif que le soutien inconditionnel des mesures proposées par Touati et s’était même permis de proposer à Khaled Nezar de prendre les rênes du pouvoir; les civils selon Mohamed Lamari étaient des bons à rien, indisciplinés qui ne pouvaient rien faire d’eux-mêmes ; le peuple algérien qu’il appelait,"société civile" n’avait aucune maturité politique, et donc incapable d'être confié la direction de l’état.


Cette intervention avait sauvé Mohamed Lamari; Khaled Nezar qui cherchait des fonceurs qui ne reculaient devant rien, avait fini par trouver ce qu’il cherchait. Mohamed lamari fut convoqué le jour même au bureau du ministre qui lui annonça de bonnes nouvelles. Le nom de Mohamed Lamari fut rajouté in extremis à la liste des généraux (Mohamed Djenouhat, Tayeb Derradji, Khelifa Rahim et Djouadi Abdelhamid) promus au grade de "général major", le 05 juillet 1992. De plus un nouveau corps fut crée spécialement pour lui, le CCLAS (Commandement de Coordination de la lutte Contre les Activités Subversives), sa mission: La chasse au sanglier.

Quelques semaines après, d’autres réunions, plus intimes, eurent lieu entre Khaled Nezar, Mohamed Touati, Mohamed Mediene, Abbess Gheziel et Abdelmalek Guenaizia, l’ordre du jour était la discussion de l’opération "Ménage". Les décisions qui avaient découlé de cette mesure étaient à peine croyables, des mises en retraite anticipée, des radiations sans droits, des arrestations et même des liquidations physiques de sang froid. Le général Mohamed Lamari était tout le temps sur le terrain et aidé par Toufik, il avait réussi plusieurs opérations sur tout le territoire de la première région militaire, sa devise était de frapper fort et vite les groupes terroristes et rentrer à la base avec zéro prisonnier. Le ministre de la défense lui accordait tous les moyens matériels et humains dont il avait besoin et ses hommes étaient choisis parmi l’élite des forces spéciales (Commandos). Ses méthodes "choc" ne faisait pas l’unanimité parmi les autres officiers de l’ANP, et il s’était fait beaucoup d’ennemis parmi lesquels les généraux : Hocine Behadid, Khelifa Rahim et surtout Abdelmalek Guenaizia, le chef d’état major qui se plaignait tout le temps à Khaled Nezar du comportement de son protégé, mais le ministre de la défense ainsi que Mohamed Touati prenaient toujours la défense de Mohamed Lamari.

Dans le magazine officiel de l’ANP "Eldjeich" paru le 09 mars 1993, le général major Mohamed Touati (porte-parole du MDN et conseiller politique du ministre de la défense Khaled Nezar) avait pris l’initiative de publier un article dans lequel il avait longuement détaillé la position de l’ANP et avait expliqué les raisons du choix fait par le commandement de l’armée pour contrer l’islamisme. L’article signé par Touati était sans précédent de part son contenu, car en réalité le général Touati avait expliqué sa théorie (déjà connue et approuvée par les "Janviéristes" depuis le coup d’état contre Chadli) du tout sécuritaire ou l’éradication. Le message était adressé aux cadres de l’ANP qui devaient comme leurs chefs, adhérer aux fondements idéologiques de la lutte anti terroriste avec des convictions comparables aux arguments staliniens, la seule différence était que Touati avait mis l’accent sur l’unité de l’armée et la sauvegarde de l’Algérie qui était au seuil d’une guerre civile. L’article repris par la presse nationale était aussi destiné à la consommation locale, et visait la mobilisation d’une partie du peuple pour le soutien actif et l’aide des forces de sécurité dans leur combat contre le chaos et l’obscurantisme. Cet appel aux forces vives de la nation était aussi une incitation à la révolte et à la formation d’une résistance locale pour la lutte anti-terroriste. 


En claire, le plan de Touati était assez simple, pour ne plus entendre parler de l’islamisme il fallait suivre un plan précis:

    * Centraliser le pouvoir décisionnel au sein de l’ANP et dégager un noyau de commandement uniforme.

    * Identifier les éléments islamistes présents d’abord dans les milieux de l’ANP et les éliminer au cas par cas.

    * Punir avec le plus de sévérité toute personne appelant à la révolte ou à la désobéissance au sein de l’armée.

    * Assigner aux services secrets tous les moyens nécessaires à leur mission exclusive qui consiste en la récolte et l’exploitation rapide des informations.

    * Ne pas hésiter à pratiquer la méthode de l’exemple à ne pas suivre, pour montrer la fermeté du commandement. Récompenser les bons éléments avec beaucoup de générosité et veiller à leurs promotions (la politique du bâton et de la carotte).

    * Impliquer la société civile dans la lutte anti-terroriste et la création de milices d’autodéfense encadrées par des anciens moudjahidin ou des ex-militaires.

    * Soutenir la lutte des forces de sécurité par une campagne de propagande médiatique à l’échelle internationale.

    * La reprise par l’état de tous les lieux de culte et uniformiser le discours religieux à travers le pays.

    * Reformer la société algérienne dans les domaines sensibles de l’éducation, la famille et la justice.

    * Création de cours spéciales pour le suivit exclusif des affaires liées au terrorisme et l’application des mesures légales décidées pour la circonstance.

    * Organiser le soutien de la lutte anti-terroriste par la communauté intellectuelle et politique à l’échelle nationale et internationale.



Ces mesures qui furent appliquées à la lettre par Mohamed Lamari, Toufik et Smain Lamari ont conduit l’Algérie à une situation catastrophique, car Touati avait omis un point très important : le peuple algérien ne croyait plus en ses dirigeants depuis octobre 88.

Pour certains généraux, fervents défenseurs du projet de création d’une armée professionnelle loin de la politique, comme Le général Hocine Benhadid, l’implication de l’ANP dans les événements d’octobre en premier lieu, la destitution de Chadli en second lieu et la mort du président Boudiaf en dernier lieu avaient mis l’ANP dans une position très vulnérable vis-à-vis de la société civile. Le plus grave était que l’institution militaire avait perdu le crédit chèrement acquit pendant la guerre de libération ; en effet parler de l’ANP revenait à citer le passé glorieux de l’ALN et rappelait surtout l’amour et la confiance qui la reliait au peuple algérien, mais tout cela avait disparu. Le tout sécuritaire était une option sans aucune garantie de réussite et la crise politique devait et ne pouvait être traitée que par les politiciens. 
Cette conviction avait valu à Hocine Benhadid et à ses "alliés" d’être écarter de la sphère du commandement de l’armée au profit de jeunes loups comme Mohamed Lamari, Fodil Cherif, Said Bey et d’autres généraux qui adhéraient aux thèses éradicatrices de Mohamed Touati, le "Mokh".

Tous les ennemis de Mohamed Lamari furent évincés par Khaled Nezar pour lui ouvrir le chemin vers le sommet, surtout que le ministre de la défense était malade et que ses voyages à l’étranger pour se soigner devenaient de plus en plus réguliers et que son absence du ministère n’arrangeait pas la situation. C’est lors d’une réunion, au début du mois de juillet 1993, au bureau du ministre de la défense, qu’un problème de taille fut soulevé entre les officiers janvieristes: la retraite de Nezar et le choix de son remplaçant. L’ambiance était très houleuse; Touati voulait le poste, Benabbes Gheziel et toufik ne voulaient pas faire de concessions. Khaled Nezar avait de la peine à raisonner les uns et les autres pour arriver à un compromis, et la seule alternative qui avait fait l’unanimité était celle de rappeler la personne qui avait le plus d’ancienneté après Khaled Nezar (pendant l’époque Chadli); cette personne était le général Liamine Zeroual. Le premier problème était réglé, mais Khaled Nezar ne voulait pas partir et laisser son clone (Mohamed Lamari) sans protection, il réussit à obtenir pendant cette même réunion, la démission de Abdelmalek Guenaizia de son poste au profit de Mohamed Lamari qui fut baptisé : Chef Suprême de l’ANP. Guenaizia fut envoyé à Berne comme ambassadeur d’Algérie en Suisse, une retraite bien paisible. 
  

La Liquidation des Généraux


Après le départ de Toufik de la DCSA, il fut remplacé, pendant quelques mois, par le colonel Zeghloul, jusqu'à l’arrivée du colonel Kamel Abderrahmane, le seul officier promu au grade de commandant en novembre 88 pour acte de bravoure. Il avait alors sauvé un char Stationné à Elbiar à Alger, des flammes d’un cocktail molotov et avait payé son acte au prix fort, par de graves brûlures qui lui avaient laissé d'importantes séquelles, malgré des mois de soins au Val-de Grâce (Hopital militaire français situé à Paris).

Le fait que Kamel était chef d’état major de la quatrième région militaire sous le commandement de Betchine était presque sans importance pour Le général Toufik, son dossier au sein de la DRS était très rempli et faisait de lui une marionnette parfaite. En effet c’était presque par hasard que son nom était apparu dans une affaire connue sous le c

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